Le cloître de l'Etoile
Il y a une dizaine d'années je m'étais intéressé à ce site près d'Archigny, où Isaac de l'Etoile, ancien abbé et penseur cistercien de premier plan, avait vécu et serait revenu mourir... Je n'avais alors ramassé que quelques broutilles: une grosse exploitation agricole utilisant les anciens bâtiments comme grange ... ou bergerie dans la salle capitulaire ...
Me contentant de ces vétilles (1), je renonçais au déplacement ... Et voilà qu'en ballade dans le Châtelleraudais, l'hôtesse de la maison d'hotes où nous avions passé la nuit nous affirme que depuis 10 ans le site de l'Etoile avait bien changé ... Illico nous réenvisageons notre itinéraire pour ...
... nous retrouver devant le plus classique - pour ne pas dire invraisemblable - des sites cisterciens que je puisse imaginer en cet endroit.
Et tout d'abord l'étang!
Approvisionné alors par une source, la bien nommée Font à chaux...vivier sans doute dont l'émissaire fournissait, spasmodiquement, l'eau d'un moulin, au point que les moines finiront par aller faire moudre leur grain ailleurs ... dénivelée sans doute insuffisante pour alimenter l'abbaye en eau courante ... comme nous le verrons. Au premier plan des gravats pieusement conservés.
Notre véhicule parqué, nous sommes à la porterie :
petit bâtiment en angle droit dont une partie abritait le four à pain et son feu toujours inquiétant ... il ouvre sur une perspective dont l'élément central fustige l'intérêt : la façade occidentale de l'Abbatiale !
La plus miteuse des façades occidentales d'abbayes cistercienne ! ... Et pourtant ne manquant pas de grandeur, plus proche que bien d'autres de l'idéal de l'Ordre ... A propos de grandeur: on l'aurait amputée de sa moitié en hauteur à la suite de destructions diverses ...Je la ressens mieux dans cette taille ci.
Sinon la pierre : les gros parpaings gris semblent d'époque; pas encore ravalés peut-être...
mais,bénédiction pour ma preneuse de vues, sur sa photo,une gigantesque croix s'étire depuis le porche jusqu'à la petite fenêtre du haut ... les redents des assises de pierre ont-ils été volontairement accentués par le ciseau des moines d'alors ?...en dignes descendants des artistes paléolithiques du coin ?
Peut-être, en fait, était-ce une question de lumière, ce jour là, sur la façade.
On voit que ce site prête à la méditation, sinon à la contemplation.
Nous ne visiterons pas l'intérieur de l'abbatiale mais d'après les vues que j'ai observées, elle semble plus démunie que l'abbatiale de l'Escaladieu, ce qui n'est pas peu dire !
L'énorme bâtiment qui commence à main gauche de la façade est appelé bâtiment des convers et se termine par le logis de l'abbé commendataire.
Deux remarques concernant ce bâtiment.
D'abord ces grandes nappes de toles en alu ou zinc que l'on constate sur les toits et aussi sur les côtés du bâtiment des convers...elles sont destinées à protéger les échaffaudages en bois qui soutiennent les parties à réparer ... cela témoigne de la foi de l'équipe associative en la restauration finale de l'abbaye, aussi tardive soit-elle ... de la perennité des subventions aussi.
photo Bon sens et déraison
Regardons l'aspect du logis du Commendataire, ce qu'il est défensif: un minimum d'ouverture, un escalier en colimaçon dans la tourelle de droite pour accéder à l'étage ... ce que ces hommes nommés de l'extérieur devaient être mal acceptés ... bien sûr cela ne saurait expliquer que le grand déclin du monachisme ait commencé avec la mise en place des Commandataires ... encore qu'ici il y ait eu continuité d'abbés réguliers jusqu'à la fin de l'abbaye ... dont certains, comme Jérome Petit d'un charisme aussi impressionnant que celui d'Isaac.
Profitons de l'image pour évoquer, sous sa cuirasse, l'énorme bâtiment des Convers ... En fait ces derniers ne disposaient que d'un dortoir à l'étage, le reste étant réservé aux stockage des récoltes ... on imagine mal un trop grand nombre de Convers allant occulter les baies de la salle capitulaire les jours de Chapître ...
Une porte du bâtiment des Concers ouvre sur le Cloître ...
... mais, existait-elle de ces temps là ? Imaginons que nous ressortions par là!
Le préau s'offre dans un plan carré, d'une quinzaine de mètres de côté... à vue de nez ...au premier plan le lavabo, en fait margelle très restaurée d'un puit ... ce qui rejoint l'idée que les eaux de l'étang ne pouvait irriguer l'abbaye...Nos moines n'étaient pas animés de l'ardeur de ceux d'Aubazine...
Mais que sont ces nasses à anguilles qui nous cachent la vue ...! Ailleurs en pareil cas on mettrait des cyprès ... ou des peupliers d'Italie ... Ici, ces nasses d'osier (tontines) se comporteraient comme des topiaires et conduiraient des rosiers pour rappeler les colonnes des galeries disparues ... Autrement réjouissant à l'oeil que des cyprès ou des peupliers...Je tope pour les topiaires ! D'autant que les colonnes antiques risquent de n'avoir été que des troncs mal équarris, sans le moindre chapiteau à comparer aux roses... Mea culpa: des troncs mal équarris chez des cisterciens, peu probable!
... à propos de ces galeries, remarquez ces trois arrachements de bois au-dessus de la salle capitulaire...lesgaleries étaient donc à toiture de bois...ce qui n'exclut nullement une belle colonnade de pierre au lieu de troncs mal équarris...comme à la Grainetière!
...la façade romane de la salle capitulaire est "classique" ...ce qui l'est moins, ce sont les robustes colonettes de soutien que l'on aperçoit, dont le chapiteau...
...cisèle des Cistel et non des feuilles plates comme il est dit communément...des cistels, roseaux des marécages de clairvaux qui donnèrent son nom à l'ordre.
Sinon une capitulaire classique, ogivale avec implantation des arcs sur pilots à mi-hauteur des murs...
En sortant de la Capitulaire sur la droite, conservation d'un parloir, d'une prison et de latrines...
... ces dernières confirment l'absence d'eau courante puisque les excréments sont recueuillis dans une grande fosse cimentée... plus écolos que leurs collègues qui envoyaient tout à la mer...
En sortant de la Capitulaire vers la gauche , on trouve l'unique chapelle conservée, celle de Sainte Laurence, réparatrice des douleurs buccales...
Sur la façade obturée, ce qui se veut un blason de l'abbaye: deux étoiles et deux croissants lunaires ... je vais me permettre une dernière impertinence.
Les deux étoiles peuvent rappeler ces deux frères qui élevèrent Fontgombaud et l'Etoile mais en s'appuyant sur qui ? Sur les croissants lunaires, symbole mahométant, en se souvenent qu'à quelques lieues de là, Vouneuil/Vienne prétend être le véritable site de la bataille qui stoppa les mahométants 400 ans plus tôt...
(1) mon livre: "Isaac de l'Etoile, le cistercien de Ré" 2004 (épuisé)