Le cloître de Royaumont
Rarement une abbaye ne dut tant, de sa naissance à son déclin, à un homme que Royaumont ... Cet homme, le roi Louis IX, le futur Saint Louis s' y employa dès l'âge de 14 ans sous la tutelle de sa régente de mère, la reine Blanche de Castille ...Et lorsqu'on dit "s'y employa", ce n'est pas seulement en tant que monarque décidant de la création ou, plus tard accordant de substantielles rentes ... C'est aussi en tant que manoeuvre maniant les moellons et incitant ses courtisans à en faire de même ... Et lorsque par la suite il y reviendra, ce ne sera pas dans la pompe mais en exemplaire retraitant, abritant à peine sa personne royale de quelques cloisons à l'extrêmité du dortoir des moines ... Par la suite encore il fera de Royaumont un panthéon royal, y abritant les corps de 2 de ses enfants et d'un de ses frères ...
Ceci explique sans doute, que cette abbaye, une des plus grandes Cisterciennes de France, ait été construite entre 1228 et 1235, en à peine 8 ans...
Voici, du ciel, l'abbaye avec au premier plan, l'imposant ensemble claustral mais si vous cherchez l'abbatiale , point vous ne trouverez ...
...sauf cet ergot dardé vers les nues et qui n'est qu'une tourelle du transept nord abritant l'escalier menant au triforium ... sinon ne subsiste de l'immense église (106/m long - 28/haut), que des traces au sol qu'on perçoit mieux du ciel ...
... que dans la perspective depuis le sol ...
...qui permet cependant de visualiser,sur la droite, un pilier que les démolisseurs ont choisi de respecter ... pour une raison qu'on ignore encore...
Mais pourquoi cet acharnement ? ...ll nous faut revenir à Saint Louis ou plutôt après lui : aucun de ses successeurs ne s'intéressera financièrement à Royaumont, rendant inéluctable un déclin que précipitera un commendataire tout à l'opposé du roi fondateur ... Laissons ce triste personnage dans l'anonymat d'autant que la destruction de l'abbatiale ne lui est pas imputable ...
La Révolution permit l'achat du monastère, bien national, par un industriel qui y installa une grande filature de coton et, tandis que les bâtiments claustraux servaient à la production, les pierres de l'église permirent d'élever les maisons des 300 ouvriers ... Au passif de cet industriel, ajoutons la salle capitulaire "explosée" pour permettre la mise en place d'une roue hydraulique bénéficiant des canaux cisterciens ...
Parmi les réutilisations de l'abbaye, il y a eu ce temps d'Hôpital ...
...durant la première guerre mondiale ...
Mais revenons à cette aptitude des cisterciens à domestiquer les eaux courantes, parfois au prix de grands travaux ... C'est le cas à Royaumont où des chenaux provenant de deux rivières pénètrent les bâtiments et les abreuvent copieusement .. Comme par exemple :
...dans ce bâtiment bien conservé qui précède l'aile orientale du cloître ... Sur l'image qui suit :
... on voit nettement le chenal qui pénètre par l'entrée principale ... Longtemps on l'a appelé bâtiment des latrines mais bien que les moines aient été très nombreux (jusqu'à 140 dans les débuts), bien que leurs soucis d'hygiène aient précédé leur temps, on peut douter qu'une telle construction n'ait servi qu'à satisfaire des besoins naturels ...On peut penser que les moines y avaient leur atelier, leur forge ..Du temps de la Commende, les Prieurs s'y firent aménager de confortables appartements ... et l'ensemble s'appela Maison du prieur ...Voici une autre vue de ces canaux :
L'occasion est trop belle pour ne pas évoquer plus avant la maîtrise de l'eau des cisterciens, en ayant à l'esprit qu'on privilégie les eaux de source pour la boisson et la toilette, les eaux de rivière étant réservées aux travaux (et aux latrines) ...
Abordons maintenant l'ensemble claustral ...
Dans le prolongement de la Maison du Prieur (12) se développe la face Est de l'aile orientale, entrons-y en suivant le ruisseau ...En 5 et 6 nous sommes au niveau de l'ancienne salle capitulaire, détruite par la filature et remplacée aujourd'hui par une bibliothèque musicale renommée, la collection François Lang qui traduit bien l'esprit de l'originale de Royaumont...
Quelle bibliothèque ! Commencée avec l'abbaye et favorisée sans cesse par Louis IX qui lui léguera la bibliothèque royale ... L'acheteur de 1791, pourtant lui-même sang bleu, dispersera les livres et les autres richesses mobilières ...
C'est dans (7) , l'ancien scriptorium, que les moines réalisaient leur délicats travaux d'écriture et d'enluminure ... En (4) la sacristie et , bien entendu, en étage le dortoir.
Quand les doigts étaient gourds et les encres figées, on passait au chauffoir (8) pour ragaillardir le tout non loin des cuisines
... et du réfectoire (9) :
...l'un des rares cisterciens à être double avec son alignement médian de colonnes recevant les ogives de deux voûtes... Ici, malgré les restaurations, nous revenons dans de l'authentique ... La cuisine à elle seule ne mériterait-elle pas d'être capitulaire ... avec son passe-plats carré, unique ouverture vers le réfectoire... et ce réfectoire double nef n'a-t-il pas allure d'abbatiale ? A défaut de choeur il dispose d'une chaire centrale ...
... qui permettait au lecteur du jour de se faire entendre de l'ensemble des moines ...
Nous ne nous attardons pas au jardin médiéval (13)
malgré tout le sérieux qui a présidé à sa réalisation et rejoignons l'aile occidentale, c'est-à-dire tournée vers l'Est et les steppes de Sibérie, l'aile des convers (10 et 11), réservée au propriétaires de l'Abbaye ...
Il est temps d'aborder le cloître (un des plus grands qu'ils soient 48x46) tel que nous le visionnons avant tout, avec le préau:
... Les quatre galeries sont présentes, au prix,c'est sûr, de bien des restauration ... A l'image des deux arcades que nous apercevons, face à l'entrée du réfectoire, l'ensemble des autres devait être décoré d'oculus et de trois colonnettes ...
L'intérieur des 4 galeries est structuré dans le gothique le plus classique ...
... le lavabo devait se trouver dans le préau, en face de cette même entrée du réfectoire.
Si nous n'avons même pas voulu donner le nom des individus qui ont causé du tort à Royaumont, il est temps d'évoquer ses bienfaiteurs en plus de Saint Louis, je veux parler de ceux qui lui ont évité une destruction totale ...
Et tout d'abord les Soeurs de la Ste famille de Bordeaux qui s'installent en 1869 dans l'abbaye : elles préservent, restaurent, créent même ici une chapelle, là une grotte ... n'eut été le petit père Combes, ces "jupons" auraient relevé l'abbatiale ...
Et maintenant la famille Gröuin qui non seulement a poursuivi l'oeuvre des Soeurs mais surtout a su imaginer une politique de préservation et de développement à long terme en mettant en place la Fondation Culturelle de Royaumont :
"Trois pôles structurent alors l'activité de la Fondation qui acquiert rapidement une notoriété internationale : la musique, la danse contemporaine et un pôle pluridisciplinaire qui invite les créateurs de différentes disciplines à travailler ensemble. L'abbaye renoue avec son identité intemporelle de lieu de réflexion, de création, d'innovation et de questionnement pétri d'humanisme et d'humanité."
Revenons au préau :
... comme il n'existait pas de dessin du temps des moines, au début du 20è le paysagiste A.Duchesne mit en place une organisation en 4 compartiments, de style Renaissance, que les restaurateurs contemporains ont préservé en y ajoutant l'ensemble monumental du bassin central ...
"
La Fondation Royaumont a commandé à l'artiste plasticien Yann Toma une oeuvre permanente pour le bassin central, Geysir-Ouest-Lumière, inaugurée le 22 juin 2010. Cette oeuvre se matérialise par l'activité de l'eau : sa présence, son jaillissement et son illumination. En phase active, l'oeuvre culmine à une hauteur de sept mètres. Juste avant le bouillonnement, on observe un bouillonnement progressif qui préfigure l'évènement. Un dispositif de spots éclaire d'une blancheur éblouissante le bassin, puis s'intensifie au jaillissement du geyser."
Et maintenant, du haut des cieux, un dernier regard à Royaumont que je n'ai pas encore eu le plaisir de visiter.
(au premier plan le palais abbatial,"folie" des abbés commendataires).