Place de la Bastille
Je me la rappelle comme un univers de verdure, une jungle glauque
alors qu'une génération plus tôt elle émergeait à peine sur son plateau rocailleux...
Il suffit de regarder l'église Saint Esprit à cette époque là.
De l'autre côté de la place s'élevait la Grande Poste où Ben Bella fit des siennes vers 1955. Entre les deux la fontaine moussue et "cascatellante" autour de laquelle se jouait, en septembre, la foire aux livres scolaires. C'est là que pour la première fois j'ai croisé "la plus belle".
Sur un autre côté de la place, le Grand Hôtel, l'un des plus prestigieux de la ville.
Voici le récit de: "La plus belle".
Semaine d'avant rentrée en septembre.
Place ombreuse de la Poste avec ses kiosques, son église Saint Esprit, ses bancs, son marché aux livres d'occasion... en ces temps là un Hemery ou un Carpentier Fialip restaient valables dix ans. Son bouquiniste à l'ombre des PTT qui retrouvait pour quelques jours de l'animation au dam du magasin de musique mitoyen.
Avec quelques uns je traficotais, rachetais des ouvrages à des vendeurs naïfs ou pressés ou les deux pour les revendre, un peu plus tard, avec bénéfice à des acheteurs pressés ou naïfs - ou les deux-.
Vers 18 heures cet après midi là, moment où les transactions se multipliaient, avec les cris des revendeurs devenus hurlements, un silence impressionnant se fit progressant en houle depuis la rue d'Alsace lorraine jusqu'à la fontaine centrale encore pareille à la corbeille de la Bourse.
Le grand manque de bruit nous inquiéta et d'ailleurs, Ben Bella, lui-même impressionné, remit à un autre jour son hold-up de la Poste
Et puis la foule silencieuse des chalands s'ouvrit et ELLE apparut... Servie par mon copain Riqué !
C’est la première fois que je la voyais... et pourtant Dieu sait que pour traîner, je traînais ... comment le Créateur pourrait-il réussir mieux une autre fois? Son visage? Je pense au modèle de Raphaël, la Fornarina je crois...
Et bien c'était mieux encore car il y avait de l'espièglerie, du mutin, un je ne sais quoi, que la Bella Donna n'avait pas, toute qu'elle était à la majesté de son Baby Sitting.
Sa peau, je n'ose en parler car dans tous les endroits visibles du corps elle était éblouissante, et translucide avec le fin réseau bleu qui palpitait posément. Et comme elle sortait de l’été... La mode en ce temps là commençait à être à la multiplication des jupons sous la jupe ou la robe et çà se portait aux genoux, avec la taille serrée dans une large ceinture et surtout, un haut dénudant les épaules et révélant la naissance des seins dans un bouillonnement de rubans, de smokes ou de dentelles.
C’est cet étage là qui nous fascinait tous autant que nous étions, même les naïfs et les pressés, tandis qu'elle glissait sur ses ballerines à la conquête de son Nouveau Monde. Derrière, souriant mais ne la ramenant pas, Riqué suivait, ouvrait, couvait ... LOTH dans une foule de statues.
Comme souvent chez nous, ELLE avait éclos durant l'été: gamine encore cagneuse jouant sur la plage, elle avait reçu en une seule fois, comme Aphrodite, la divine liqueur de Chronos.
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