Demain on va aux pièges
... m'avait, d'un ton indiscutable, lancé Tarambana.
En cette fin d'après-midi il revenait de la falaise, l'air particulièrement guilleret, agitant sa main droite qui tenait, entre le pouce et l'index, un tube d'aspirine; pour autant que je pouvais le distinguer.
- C'est quoi ?
De son autre main il me faisait signe de le rejoindre sur sa véranda; ce qu'en quelques bonds je fis.
Il s'était assis sur l'un des bancs de la grande table sur le plateau de laquelle il avait posé son tube d'aspirine ainsi qu'une demie douzaine d'engins métalliques dans lesquels je reconnus des pièges .
Renonçant à poursuivre l'inspection qu'il menait de l'un d'eux, José me dit gravement, comme s'il s'agissait d'un secret:
- Les fourmis à ailes prennent leur envol ...
Devant mon air ignare, il prit le tube d'aspirine et commença de l'ouvrir précautionneusement.
Très vite, dans l'interstice, des antennes et des mandibules pointèrent: mon copain extirpa l'un des insectes et referma promptement le tube.
Il s'agissait d'un guerrier, de la plus énorme espèce de fourmis que je connaisse,
avec des crocs menaçants qui happaient le vide; seulement il disposait en plus d'une longue paire d'ailes ... En cette période des amours, elles devaient lui permettre d'aller à la poursuite de la reine, si possible plus haut et plus longtemps que ses concurrents.
- Les oiseaux y sont comme fous, y se méfient plus ... Vient que je te montre comment on place la fourmi sur le piège.
Les pièges m'apparaissaient comme autant de petites bilotchas avec leur forme en demi cercle et leur queue articulée; leur forme rappelait aussi celle du "tchoutch", cette raie dont j'avais vu un spécimen mort porté par la vague jusqu'au rivage.
En fait il s'agissait de deux demis cercles de métal, fortement appliqués l'un contre l'autre par un ressort qui s'enroulait autour du diamètre. Dans la partie centrale de ce diamètre s'arrimaient deux pièces essentielles: la queue et la pince.
La première dont la longueur équivalait deux fois le rayon était articulée en son milieu ce qui, très précisément, permettait de maintenir ouvert le piège en retenant l'un des demis cercles.
On bloquait en introduisant la toute extêmité de la queue dans l'anneau du bas de la pince. On réglait très sensible de façon à ce que le moindre tiraillement déclenche la queue faisant brusquement se refermer les demis cercles; qui pouvaient se refermer sur telle ou telle partie d'un oiseau ou sur le vide si la proie avait été prompte à s'enfuir.
La pince avait la forme d'un caducée, comme les deux serpents qui s'y enroulent. En plus de son rôle dans la retenue de la pince, c'est à elle qu'on fixait l'appât; avec du pain c'était facile, il suffisait de percer la croûte mais avec une fourmi, même de la taille de celles de Tarambana, c'était toute une affaire.
J'admirais, sans l'envier, Tarambana qui stoïquement, des doigts de sa main gauche maintenait l'insecte, mordeur en diable, tandis que des doigts de la main droite il ouvrait la pince ... Il fallait appuyer sur les extrêmités du caducée pour que se crée un vide suffisant pour introduire l'abdomen de l'animal jusqu'à cette taille resserée qui sépare du torse , taille sur laquelle on laissait se détendre la pince ... Prisonnier mais pouvant s'agiter de toutes ses pattes, l'animal était prêt à jouer son rôle d'appât.
Nous voici partant, dans l'aube encore frêle, pour cette première pose des pièges.
Première de l'année pour Tarambana qui se dirige vers l' emplacement choisi, sans la moindre considération pour mes "tchanclettes" dépenaillées qui semblent viser la moindre tête de chardon roulée au sol.
Nous y voici.
Pourquoi ici ?
Makache !
Le maître, tenant avec précaution ses six pièges appâtés, une truelle de maçon dans l'autre main, ausculte le sol de la modeste clairière entre quelques touffes du maquis.
Il se décide !
La truelle
lui permet de racler la surface du sol puis de rassembler la poussière en un matelas dans laquelle il insère discrètement le piège armé.
Armé !
D'un geste il a glissé la pointe du bras métallique dans l'oeilleton de la pince alors que la veille au soir, autant de fois que j'ai tenté l'opération, autant de fois je me suis douloureusement tapé les doigts ...
... Aussi, ici, ne suis-je que suiveuse et voyeuse.
Quand les pièges ont fini d'être installés, dans des clairières et suivant un rite comparables au précédent, José me dit:
- On viendra relever vers 10 heures, après ça vaut pas la peine ...
A dix heures le bilan s'avère maigre:
* 3 pièges intacts, armés et en place mais l'appât disparu,
* 1 autre déclenché mais vide,
* 1 disparu, emporté peut-être par un chat ou même un prédateur à deux pattes ...,
* dans le dernier un linot minuscule à la tête étranglée par les mâchoires de fer.
- Je les reposerai à la fraîche, c'est meilleur ... Tu viendras ?
Non Monsieur Tarambana je ne viendrai pas ce soir, ni même une autre fois à cette chasse là ... Quelle soit inintéressante à mettre en place, c'est évident ... Et peu fructueuse, et bestiale et et et ... Et surtout ces ignobles fourmis qui vous mordent quelque soit la façon dont vous vous y prenez pour les saisir ... Et ces pièges qui, un fois sur deux se referment sur les doigts quand vous les armez ... !
Non, pas pour moi Monsieur José, quelque soit le plaisir que votre compagnie me procure, il y a bien plus intéressant à faire en bord de mer ou dans la falaise.