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7 décembre 2013 6 07 /12 /décembre /2013 18:00

 

 

un apéritif oranais

 

 

 

          En soirée le samedi les riverains installent des tables et des chaises en bordure de la réplacette pour eux et leur famille mais aussi pour les voisins et amis du reste du village. Ils vont se tenir là jusqu’à une heure avancée de la nuit à grignoter, à se désaltérer mais surtout à deviser agréablement. Parfois ils se taisent et contemplent la falaise qui les domine et, par delà, le ciel bleu sombre et ses constellations d’étoiles ; la mer, invisible, entretient un bruit de fond.

          Rapidement, les enfants rejoignent la place et organisent toutes sortes de jeux mais nous y reviendrons.

 

          Quand nous arrivons, les Duchemin finissent d’installer devant leur portillon des chaises et deux guéridons dont la ferraille a définitivement éliminé la peinture verte, à l’exclusion des pieds mieux protégés. Situé à égale distance de deux des poteaux électriques, l’emplacement, bien éclairé, me permet de détailler chacun de nos hôtes et leurs invités.

          Il y a d’abord M. et Mme Duchemin les amis d’Hélène. Elle, Paquita, c’est son amie d’enfance ; sa silhouette semble prendre le même chemin que prit jadis celle de Janette... Monsieur est roux des cheveux, des sourcils et de la barbe mal rasée, avec des yeux bleus ; il parle peu. Il y a aussi M. Duchemin père qui lui est tout blanc et n’arrête pas de tchatcher, sans doute la raison pour laquelle son fils parle peu. Je comprends vite que leurs deux enfants sont grands et préfèrent rester à la maison en ville le samedi. Il y a aussi une vieille qui semble accrochée à son ouvrage comme à une bouée de sauvetage et qui n’arrête pas d’approuver de sa tête le flot continu de paroles que lui déverse son voisin. C’est une tante de Paquita qui s’est occupée d’elle quand elle s’est retrouvée orpheline. S’y trouve aussi un couple de villageois, les Ortola, amis ayant leur cabanon à la sortie de Navalville, non loin des nôtres.

          A peine sommes nous assises que commence, par l’entremise de Paquita aidée par Hélène et par Huguette Ortola, une noria déversant sur les guéridons kémias et boissons. C’est une bonne franquette pour laquelle les seules assiettes sont les tranches découpées à la miche par M. Duchemin. Du sourcil retroussé et de la pointe de l’Opinel agitée dans votre direction mais toujours en silence, il interroge chacun à tour de rôle. Il suffit de hocher la tête et dans les dix secondes, une tranche de pain large comme deux mains, atterrit adroitement entre les vôtres.

          L’important ce sont les boissons et particulièrement l’anisette. Les deux marques locales ont chacune leurs partisans et il est devenu habituel,  dans les réunions festives, de présenter une bouteille de chaque, une de Gras et une de Liminiana. Seulement, comme souvent et bien que ces alcools soient bon marché, certains préfèrent fabriquer leur marque propre. C’est le cas du grand père Duchemin qui se procure l’extrait d’anis auprès d’un ouvrier de chez Gras et pour l’alcool à 90° n’hésite pas à écumer les pharmacies de la ville.

          Pour les dames, le vieux Duchemin, toujours lui, fabrique un vin d’orange dont il garde jalousement le secret. Il en emplit de grandes bouteilles vides d’eau Perrier dont la coloration donne à la boisson un aspect délectable... Je devais changer d’avis quand Hélène m’autorisa à tremper mes lèvres dans son verre et j’en voulus à l’alchimiste de nous agresser autant par ses alcools que par son verbiage... Parce que je ne vous ai pas dit le peu de succès que remportait l’anisette du Pépé !... C’est au point que sous prétexte d’aller saluer un ami à la buvette de Gallego, les hommes en profitaient pour y avaler une anisette normale, qu’elle soit de Liminiana ou de Gras.

 

          Les enfants heureusement n’ont que l’eau fabriquée par la falaise avec, si on le veut, une pointe d’un sirop de menthe dûment commercialisé... En fait l’essentiel du sirop de menthe sert aux hommes à couper l’abominable anisette et ils appellent le  glauque mélange obtenu : un perroquet ! 1-perroquet.jpgIl n’y a que le père Duchemin qui se satisfait de sa mixture sans coupage et Paquita ne manque pas de confier qu’à son avis c’était comme pour les petits oignons blancs dans l’alcool, ça conservait plus longtemps... L’image du vieillard enfourné et tassé dans un grand bocal vient ternir un instant le plaisir que j’ai à contempler les kémias sur les guéridons.

          Car parmi ces amuses gueules il se trouve un bocal de petits oignons blancs, d’où Paquita  a épuisé une platée à l’aide d’une curieuse cuillère de bois percée de trous. On a apporté aussi des olives qui débordent de deux grands bols, des petites noires


3-olives-noires.jpg

 

dites crottes de bique et des vertes cassées, marinées au fenouil.


klm.PNG

 

Deux assiettes identiques contiennent, l’une des torraïcos

 

Torraicos.PNG


qui sont des pois chiches torréfiés et salés et l’autre des tramousses,


Tramousses.JPG

 

petits oreillers jaunes de la taille de l’ongle d’un pouce et qui sont les fruits du lupin conservés dans une saumure.

          Il y a encore, un saucisson à l’entame enlevée,


saucisson.jpg


reposant sur une planche avec un couteau pour se servir... Des tomates entières et une curieuse salière faite d’une ancienne boite de charbons pour le mal au ventre et dont on a perforé plusieurs fois le couvercle... 

 

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